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Des portraits, des bouquets et des paysages : une vente entre maîtres anciens et impressionnistes

Publié le , par Caroline Legrand
Vente le 26 mai 2024 - 14:00 (CEST) - Château d'Artigny, 92, rue de Monts - 37250 Montbazon
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Renoir, Redon, Bugatti et les Bruegel mènent la danse pour la traditionnelle vente Garden Party des Rouillac, le Japon du XVIIe siècle s’invitant également au programme.

Rembrandt Bugatti (1884-1916), Boniface Marquis de Castellane, vers 1912, bronze... Des portraits, des bouquets et des paysages : une vente entre maîtres anciens et impressionnistes
Rembrandt Bugatti (1884-1916), Boniface Marquis de Castellane, vers 1912, bronze à patine nuancée de bruns, signé sur la base «R. Bugatti», édition originale A-A. Hébrard, cachet «Cire Perdue AA Hébrard», h. 76 cm.
Estimation : 150 000/200 000 

Depuis les critiques mitigées de l’exposition qui se tint du 15 avril au 15 mai 1874 dans les anciens ateliers du photographe Nadar au 35, boulevard des Capucines, les impressionnistes ont tenu leur promesse : celle de révolutionner la peinture grâce à leur spontanéité, leurs scènes de la vie moderne et leurs paysages en plein air aux couleurs claires et juxtaposées. La 36e Garden Party rendra hommage à l’un de ces maîtres, Auguste Renoir, avec deux œuvres emblématiques de sa carrière. Datée de l’année même de sa mort, Andrée au chignon faisait partie de la succession de l’artiste puis de la collection de la galerie Bernheim-Jeune. Le tableau porte le cachet de l’atelier, mais «il n’est pas signé, tout comme les Pommes que Renoir peignit deux jours avant sa mort», précise Aymeric Rouillac. Dans le catalogue rétrospectif L’Atelier de Renoir, réalisé en 1931 par Bernheim-Jeune, cette toile est l’avant-dernière œuvre du maître et donc son dernier portrait. Un thème que Renoir a pratiqué durant toute sa carrière au gré de ses changements stylistiques. C’est ainsi, dans son ultime manière, plus fluide et faite de mélanges instinctifs de couleurs à larges coups de brosse, qu’il peint ce visage rond et plein de vie de Madeleine Heuschling (1900-1979), dite Andrée, à l’âge de 19 ans. La jeune modèle lui a été envoyée, à Cagnes-sur-Mer, quatre ans plus tôt par son ami Matisse – qui l’avait rencontrée à l’école d’art décoratif de Nice –, troublé de constater sa ressemblance avec «un Renoir». Une séduction partagée par Jean, deuxième fils de l’artiste. Le cinéaste l’épousa en janvier 1920, et voulait en faire une star du cinéma ! En 1918, Andrée posa également pour la dernière grande toile de Renoir, Les Baigneuses (musée d’Orsay). Cet autre thème fort de son œuvre sera évoqué ici par une petite Baigneuse, répertoriée au catalogue raisonné de l’artiste. Signée et réalisée en 1882, elle est annoncée à 180 000/250 000 €. Provenant d’une autre collection – «Deux clients différents avec des Renoir, impossible de passer à côté», s’émerveille le commissaire-priseur –, cette œuvre ne quitta jamais l'artiste. À sa mort, elle est passée dans la collection d’Ambroise Vollard. Entre innocence et sensualité, elle appartient aux premières réalisations de cette série et s’inscrit au début de sa période ingresque, déclenchée par son voyage en Italie en 1881 – avec ce traitement graphique et sensuel du nu de dos –, ainsi que dans sa quête de l’intégration de la figure humaine dans son environnement, de l’accord entre la nature et l’homme.
 

La laque japonaise, le style Transition
Daté du milieu du XVIIe siècle, ce coffre fait partie des importantes commandes passées par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales au Japon. Son luxueux décor suggère une prestigieuse provenance.
 
Japon, époque d’Edo, style Transition. Coffre « aux pagodes », vers 1639-1645, en laque à décor en maki-e, or sur fond noir, intérieur et
Japon, époque d’Edo, style Transition. Coffre « aux pagodes », vers 1639-1645, en laque à décor en maki-e, or sur fond noir, intérieur et revers du plateau en laque à fond rouge, les coins, la plaque de serrure et les poignées sur le côté en laiton finement gravé de fleurs, 66,5 154 74,5 cm.
Estimation : 50 000/80 000 

Un coffre a déjà marqué l’histoire des Garden Party. Le 9 juin 2013, un exemplaire japonais en laque réalisé vers 1640, au début de l’ère d’Edo, ayant appartenu au cardinal Mazarin, avait été acquis 7 311 000 € par le Rijksmuseum. Un autre sera présenté le 26 mai prochain. Il ferait partie de la même importante commande passée par François Caron, responsable du comptoir de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales au Japon, auprès d’un même atelier et partie de l’archipel en 1643. Caron, très proche du shogun Tokugawa Iemitsu, avait obtenu un monopole sur le commerce avec le pays du Soleil Levant. Provenant d’une collection néerlandaise, notre coffre, s’il est moins luxueux que celui tout en or de Mazarin, propose un décor de qualité en maki-e, en or sur fond noir, de cartouches sur la façade, les côtés et le dessus du plateau ornés de pagodes, de paysages et de branchages. L’intérieur et le revers du plateau sont en laque à fond rouge avec un décor à l’or de fleurs et d’oiseaux. Un style que l’on nomme «de transition» puisqu’il se place entre le style nanbam, avec ses couvercles bombés et ses incrustations de galuchat et de nacre indienne, et le style pictorialiste, qui utilisera la technique maki-e, luxueuse mais économique par son usage de l’or sur un fond noir et sur des couvercles plats. Cette période de transition, située entre 1639 et 1645, effectue une brillante synthèse de ces deux modes et est également marquée par ses encadrements de cartouches et ses bordures géométriques. Ses paysages traditionnels s’inspirent par ailleurs des estampes des Huit Vues d’Omi du calligraphe Nobutada Konoe et de grands mythes littéraires tels celui du Dit du Genji. Les décors de ce coffre ne sont libérés des entraves des cartouches qu’à l’arrière et à l’intérieur du couvercle, celui-ci présentant la particularité d’être en laque à fond rouge : une mode qui débute à cette époque et qui fera l’objet de nombreuses et prestigieuses commandes européennes au milieu du XVIIe. Le roi Frederik III de Danemark possédait d’ailleurs un coffre similaire à celui-ci (National Museum, Copenhague), tant par son décor que par ses dimensions, dans son cabinet de curiosités. 


Et la couleur fut

Mettre en parallèle Odilon Redon et les impressionnistes pourrait paraître saugrenu… surtout si l’on pense à ses noirs inquiétants et symbolistes de début de carrière, mais peut-être un peu moins face à ce Bouquet de fleurs avec un tournesol, provenant de la vente de la collection du négociant en vin Jules Chavasse en 1922 (500 000/800 000 €). Au tournant du XXe siècle, la couleur réapparaît dans son travail. Odilon est âgé de 60 ans. Délaissant le monde intérieur, il se tourne vers le visible. Ses pastels démontrent des qualités d’orchestration chromatique exceptionnelles. En quinze ans, il réalise près de trois cents tableaux de fleurs, présentés au Salon d’automne entre 1905 et 1908. Un autre grand coloriste, Georges Rouault, sera présent avec Arlequin (harmonie rose) daté de la fin de sa carrière, vers 1948-1952, d’un style adouci et sur un thème qui lui était cher : la Commedia dell'Arte (200 000/300 000 €). Son traitement du comportement animalier et du mouvement a fait dire de Rembrandt Bugatti qu’il était un sculpteur impressionniste, un artiste capable de supprimer certains détails au profit de l’essentiel. Il appliqua le même concept à ses rares portraits d’hommes et de femmes dont fait partie le bronze de l’esthète et collectionneur — descendant de Talleyrand —, Boniface Marquis de Castellane. Son plâtre fut exposé en 1912 au Salon de la Société nationale des beaux-arts puis édité jusqu’en 1934 par son fondeur exclusif, Adrien-Aurélien Hébrard. 150 000/200 000 € sont annoncés pour cette sculpture inédite, puisque seul un exemplaire était connu jusque-là. Elle sera prochainement incluse au répertoire monographique de Rembrandt Bugatti établi par Véronique Fromanger. Le sculpteur ne s’adonnait que très rarement à cet exercice, les modèles choisis étant forcément des privilégiés, des proches tout d’abord, puis des personnages mondains de la vie parisienne rencontrés par l’intermédiaire du prince Paolo Troubetzkoy. Véronique Fromanger précise que c’est lors d’une visite privée que l'artiste «modèle un portrait magistral du marquis Boniface de Castellane en tenue de chasse à courre : d’une seule ligne, Bugatti a totalement saisi l’âme de ce grand seigneur.»
 

Pierre-Auguste Renoir (1841-1919), Andrée au chignon, 1919, toile, cachet d’atelier, 30,4 x 28 cm. Estimation : 300 000/400 000 €
Pierre-Auguste Renoir (1841-1919), Andrée au chignon, 1919, toile, cachet d’atelier, 30,4 28 cm.
Estimation : 300 000/400 000 


Les maîtres anciens

Jan Bruegel l’Ancien et Jan II Bruegel placent Village au bord d’un fleuve et Paysage à l’embarcadère dans le contexte socio-économique des Pays-Bas au XVIIe siècle. La fin de la guerre entre le Nord et le Sud est synonyme en 1609 de reprise de l’activité pour une bourgeoisie marchande, cliente privilégiée des artistes. Sur les routes terrestres comme fluviales affluent des hommes et des femmes en plein travail, approvisionnant en denrées les cités flamandes, ou vaquant à leurs occupations avec un bonheur retrouvé. Acquis en 1952 par Louis Henri Girard (1881-1973), industriel à Champagnole dans le Jura, cette paire de cuivres (150 000/250 000 €) est restée depuis dans sa descendance, du côté de Tours. Dans ces paysages remarquables par leurs eaux changeantes, le père et le fils ont associé leurs talents. Ces sujets sont récurrents chez l’un comme chez l’autre : une version de 1604 du Paysage à l’embarcadère par Bruegel l'Ancien est conservée au musée de Nantes et a appartenu à Louis XIV. Nos cuivres seraient datés vers 1625, année de la mort de Jan Ier. Ursula Härting a en effet avancé qu'ils pourraient faire partie de l'un des deux achats notés dans le journal de Jan II au moment du partage de l’héritage de quatre cuivres commencés par son père, dont on reconnaît la main dans les arbres et les personnages sur la berge du Village au bord du fleuve, et dans le «feuillé» des branches jaunies à l’extrême droite du Paysage à l’embarcadère. De la grande à la petite histoire, cette vente sera également frappée du sceau du people. Son premier lot, estimé 10 000 €, ne sera autre que le scooter enfourché par François Hollande en 2014 pour rejoindre Julie Gayet, sous l’œil des paparazzi. Vendu par le Domaine en 2015, il a été reconnu par son acquéreur et certifié par l’ancien président en personne !
 

 

 
Jan Bruegel l’Ancien dit Bruegel de Velours (1568-1625) et Jan II Bruegel (1601-1678), Paysage à l’embarcadère et Village au bord d’un fle
Jan Bruegel l’Ancien dit Bruegel de Velours (1568-1625) et Jan II Bruegel (1601-1678), Paysage à l’embarcadère (ci-dessus) et Village au bord d’un fleuve (ci-contre), paire de cuivres, cadres en bois sculpté doré, travail français d’époque Louis XIV, 18,5 22,5 cm.
Estimation : 150 000/250 000 
dimanche 26 mai 2024 - 14:00 (CEST) - Live
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