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Lot n° 52

Jean-Léon GEROME (Vesoul, 1824 - Paris, 1904) Une...

Estimation :
80 000 - 120 000 EUR
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Jean-Léon GEROME (Vesoul, 1824 - Paris, 1904) Une épave Toile. Signée en bas à gauche J. L. Gerome. 70,4 x 106,3 cm Exposition : Cercle de l'Union artistique, 5 rue Boissy-d'Anglas, n°?44 (appartient à l'auteur), 1901. Bibliographie : Arsène Alexandre, article dans Le Figaro, rubrique La Vie artistique, lundi 4 février 1901?: «?On peut assimiler à un paysage la marine avec une barque de naufragés qu'expose M. Gérôme. Il y a quelque analogie, pour le sujet, mais différence entre autres choses pour la mise en toile avec le chef-d'œuvre si émouvant de Delacroix au musée du Louvre.» Ce tableau inédit a échappé au catalogue raisonné de l'artiste par Gerald M. Ackerman, probablement parce que Gérôme l'a dévoilé au public privé et très choisi du Cercle de l'Union artistique (1), où il propose régulièrement des œuvres depuis les années 1860, et non pas aux salons officiels, où il expose tout au long de sa carrière avec des compositions plus académiques. Alors qu'on attend notre artiste sur des thèmes classiques et orientalistes, il se montre capable d'inventer des compositions inattendues, loin de la réputation d'ar¬tiste pompier qu'on lui prête. Notre image frappe par sa radicalité et appartient à ce petit groupe d'œuvres où Gérôme sort de sa zone de confort et de ses sujets habituels ; citons l'Enseigne pour un opticien de 1902, ou sa Vérité sortant du puit de 1896 : «Il y a en effet, chez Gérôme, bien que souvent perçu comme un artiste réactionnaire, une modernité paradoxale - qui tient à l'originalité de son regard, à son habileté, tout à la fois rehaussée et dissimulée par son métier académique - à créer des images, à donner l'illusion du vrai par l'artifice et le subterfuge» (in L. des Cars, D. de Font-Réaulx, E. Papet. Jean-Léon Gérôme (1824-1904). L'Histoire en spectacle, catalogue de l'exposition, Paris, musée d'Orsay, 2010, p,18). Le fond bleu-vert émeraude dominant se retrouve dans plusieurs de ses peintures, par exemple dans les carreaux émaillés au mur du Charmeur de serpents du Ster¬ling and Francine Clark Art Institute de Williamstown (1880), ou dans les cieux écla-tants de ses représentations de fauves dans le désert. Malgré l'aspect anachro¬nique qu'il y aurait à qualifier ce peintre de « moderne », l'effet du cadrage avec la mer très haute, la composition strictement partagée par la ligne d'horizon, tiennent presque de l'abstraction. Il accentue cet effet par les nuages étirés en longueur ou les lignes parallèles des vaguelettes. L'immensité de la mer d'huile n'est distraite que par la petite barque dans l'angle inférieur et son mât en biais. C'est là que se joue le drame, car Gérôme n'oublie pas d'être peintre d'histoire. Gérôme transforme la tradition de naufrages picturaux qui remonte à plus d'un siècle, allant des tempêtes de Joseph Vernet, au Radeau de la Méduse de Géricault de 1819, de la Barque de Dom Juan de Delacroix, ou par des sujets proches comme l'Evasion de Rochefort de Manet (1880, musée d'Orsay). Mais il place son esquif sur une mer calme, et non pas agitée comme chez les artistes précédents, éliminant toute note d'espoir d'être sauvé. Les passagers sont entassés ; morts ou agonisants, possiblement de maladie, laissés à la dérive sur un canot de sauvetage (2). Aucun détail, aucun nom sur leur embarcation ne permet d'identifier ces malheureux, ou un évènement historique précis. L'homme isolé face au spectacle de la nature, comme dans le romantisme, cède ici à une vision nihiliste de la condition humaine, à une prise de conscience de sa place minuscule dans l'univers, entrant en résonnance avec des préoccupations contemporaines, comme les boat-people et l'exil des migrants (3). 1. L'espace restreint du Cercle de l'Union artistique, rue Boissy-d'Anglas, réservé à une élite de bourgeois et de grands collection¬neurs, ne permettait pas d'exposer de grands formats d'histoire et pro¬posait à la vente des esquisses ou des oeuvres plus décoratives 2. On pense à l'accumulation de corps de La Barricade d'Ernest Meissonier (vers 1850, musée du Louvre). 3. A propos d'un autre tableau, Pierre Sérié, écrivait : « Au préci¬sionnisme de la facture répond l'absence d'image. Le drame atteint un maximum d'intensité dans l'abo¬lition même de sa représentation… ce spectacle, c'est le vide. (Pierre Sérié, La Peinture d'histoire en France 1860-1900, 2014, p.217).

vendredi 31 mai 2024 - 14:00 - Live
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