Gazette Drouot logo print

Manuel Rabaté, aux commandes du Louvre Abu Dhabi, un laboratoire pour les musées

Publié le , par Christophe Averty
Cet article vous est offert par la rédaction de la Gazette

Catalyseur et emblème du dynamisme muséal des Émirats arabes unis, le Louvre Abu Dhabi fête ses sept ans. L’occasion, pour son directeur, de dresser le bilan d’une institution pionnière dans l’invention d’un modèle de musée transculturel.

© Department of Culture and Tourism – Abu Dhabi Manuel Rabaté, aux commandes du Louvre Abu Dhabi, un laboratoire pour les musées
© Department of Culture and Tourism – Abu Dhabi

Ancien directeur général de l’agence France-Muséums, Manuel Rabaté a rejoint le département « Culture et tourisme d’Abou-Dhabi » en 2016. Chargé de la conduite du Louvre Abu Dhabi, sa mission est de soutenir et harmoniser un dialogue entre les cultures, dans le contexte d’une mondialisation et d’une histoire connectées.

Quelle évolution le Louvre Abu Dhabi a-t-il connue depuis son ouverture en 2017 ?
Malgré un élan freiné par la pandémie de Covid, nous avons accueilli plus de cinq millions de personnes depuis son inauguration, pour atteindre la fréquentation de 1,2 million de visiteurs en 2023. Ces résultats placent aujourd’hui le Louvre Abu Dhabi au 52e  rang mondial, selon The Art Newspaper, auprès du Mucem, créé en 2013, et du Guggenheim Bilbao, ouvert en 1997. En sept ans, nous avons démontré la force de la nouvelle proposition portée par ce musée universel, réinventé au XXIe siècle, au cœur du monde arabe. Son concept, valorisant une histoire connectée, a rencontré son public, sans rupture avec l’identité universaliste du musée français, dans sa continuité au contraire, adaptée à la globalisation des échanges. Le flux des gens qu’il attire en témoigne. Nous évaluons entre 70 et 80 % les visites des touristes venus du monde entier, et de 20 à 30 % celles des habitants des Émirats, comprenant les Émiriens et les ressortissants de très nombreux pays établis dans la région. Ainsi le musée participe-t-il à l’attractivité d’Abu Dhabi tout en séduisant un public de proximité qu’illustrent notamment quelque 45 000 écoliers et étudiants venus en 2023. À ce titre, le Louvre Abu Dhabi, grâce à un dispositif éducatif innovant – le musée des enfants accusant l’an passé quelque 231 493 entrées –, propose une exploration sensorielle et ludique d’œuvres de premier ordre dans une approche d’edutainment. Par son projet transformatif, l’institution incarne la mutation des musées eux-mêmes, tout en embrassant et en reflétant l’évolution des sociétés.
 

© Department of Culture and Tourism – Abu Dhabi. Photo by Mohamed Alalawi
© Department of Culture and Tourism – Abu Dhabi. Photo by Mohamed Alalawi

Comment caractérisez-vous son ambition et sa portée ?
Pilote ou laboratoire pour les musées du monde entier, outil de formation des personnels et des transferts de compétences, le Louvre Abu Dhabi est aussi un incubateur et un accélérateur de l’activité muséale, dont l’île de Saadiyat s’est fait l’écrin. Les constructions, qui s’achèveront dans quelques mois, du Zayed National Museum, du Guggenheim Abu Dhabi, du musée d’Histoire naturelle, comme la présence du lieu immersif et multisensoriel Teamlab Phenomena, montrent combien le projet initial du Louvre n’a jamais été isolé, mais est inclus dans la volonté des Émirats de bâtir un ensemble d’institutions culturelles de premier plan. Dans cet élan, la force de la relation franco-émirienne, l’énergie et l’implication des équipes ont créé une synergie ouvrant la voie à l’ensemble des institutions partenaires. Le Louvre Abu Dhabi tient des musées universalistes construits comme une encyclopédie. Sans chercher l’exhaustivité des établissements issus des Lumières et de la Révolution française, il délivre des clés de compréhension en soulignant les parallèles et les différences qui tissent l’histoire de l’humanité. Dès la première salle, nous proposons des trilogies d’universaux –tels des masques en or phénicien, péruvien et philippin – jouant à la fois sur l’espace, dans une lecture des connexions anthropologiques entre cultures pourtant éloignées, et sur le temps, dans un voyage temporel à travers les civilisations.

Quels sont les apports du Louvre Abu Dhabi aux Émirats arabes unis et à la France ?
La légitimité de l’accord passé entre l’État français et les Émirats tient à sa réciprocité. C’est un succès mutuel. Dans son intitulé même, le Louvre Abu Dhabi incarne un musée universel à la française, qui accueille et présente les arts du monde entier, proposant, dans une capitale du Sud global, le récit d’une histoire connectée. Il exprime la volonté d’associer la culture émirienne, consciente de son identité, enracinée dans son territoire et ouverte au monde, à la compréhension et à la tolérance – qu’affirme notamment, à proximité, la Maison de la famille abrahamique dédiée aux trois grands cultes monothéistes : christianisme, judaïsme et islam. Dans cette approche patrimoniale, les Émirats soutiennent financièrement les musées français. Rappelons, par exemple, la restauration du musée de Cluny ou la récente restructuration du musée Rodin. De même, la valorisation des collections et de l’expertise française rejaillit sur l’ensemble des établissements, avec des échanges toujours plus tangibles et fructueux.

Dans quelle proportion vos collections se sont-elles enrichies depuis 2017 ?
Lors de la création du musée, les prêts français constituaient 60 % des œuvres présentées, nos collections représentant 40 % du corpus. Aujourd’hui, nous avons globalement inversé cette tendance. Si notre projet reste de poursuivre l’élargissement de nos collections par une politique d’acquisition dynamique de pièces majeures – récemment Les Marionnettes de Fragonard, deux toiles de Picasso, une Olga et Une femme à la mandoline, ainsi qu’un chandelier islamique venu remplacer le prêt du Louvre –, nous nous attachons également à favoriser les prêts d’objets ambassadeurs qui proviennent d’autres cultures. Au cours de l’été, un partenariat avec le Mexique va permettre d’exposer cinq œuvres maîtresses, dont une tête olmèque de 2,50 mètres. Cette dynamique influe sur nos rotations dans l’accrochage des salles, modifié en moyenne tous les six mois.
 

© Department of Culture and Tourism – Abu Dhabi. Photo by Mohamed Alalawi
© Department of Culture and Tourism – Abu Dhabi. Photo by Mohamed Alalawi

Les expositions miroirs sont-elles une marque de fabrique du musée ?
Si certains projets prennent pleinement leur sens à Abu Dhabi, comme actuellement « Kalila wa Dimna et Jean de La Fontaine », d’autres thématiques duelles ont fait l’objet d’expositions alternativement présentées aux États-Unis et en Europe, comme « Ouvrir l’album du monde. Photographies 1842-1896 » et « Bollywood superstars. Histoire d’un cinéma indien » au musée du quai Branly en 2019 et 2023. De même, « Rembrandt, Vermeer et l’âge d’or hollandais », présentée à Paris en 2017, a voyagé au Louvre Abu Dhabi en 2019 après un séjour au musée Pouchkine à Moscou en 2018. Dans cette perspective, nous travaillons avec le Louvre à d’autres projets d’expositions partagées.

Quels sont les rendez-vous des mois à venir ?
La saison prochaine sera marquée par deux expositions d’envergure. La première, à l’automne, en partenariat avec le musée d’Orsay, sera axée sur le postimpressionnisme et les écoles qui en ont découlé. En janvier 2025, avec le musée du quai Branly et de nombreux partenaires africains, nous présenterons, à Abu Dhabi et en France, « Rois et reines d’Afrique », la plus vaste réunion d’art africain jamais réalisée dans la région. En nous appuyant sur les collections du quai Branly, du Louvre Abu Dhabi et des musées d’Afrique, nous accueillerons plusieurs centaines d’œuvres et d’objets dans ce pays du Sud global, de manière à interroger en filigrane l’avenir des musées tout en fluidifiant les relations culturelles et diplomatiques grâce à des partenariats propres à nourrir notre histoire partagée. Ce mouvement renforce la dimension universelle du musée et de son modèle innovant. Son concept, capable de s’adapter au territoire dans lequel il prend place, fait du Louvre Abu Dhabi un pionnier des musées du XXIe siècle.

à voir
« De Kalila wa Dimna à La Fontaine. Voyage à travers les fables »,
Louvre Abu Dhabi, Saadiyat Cultural District, Abou Dhabi,
tél. : +971 600 56 55 66.
Jusqu’au 21 juillet 2024.
www.louvreabudhabi.ae