Cette peinture illustre le talent de l’artiste à appliquer le cubisme aux paysages de carte postale du Pays basque.
Retrouvé dans un grenier, restauré et nettoyé, ce tableau sauvé de l’oubli est une redécouverte, d’autant plus intéressante qu’il n’est pas répertorié parmi les quelque trois cents œuvres référencées de Tobeen – Félix Élie Bonnet de son vrai nom. Il vient de la famille du poète et romancier Pierre Corrard, dans la descendance duquel il a été conservé. Les deux hommes se sont sans doute rencontrés à Paris dans les années 1910, ayant pour ami commun l’écrivain et critique d’art Olivier Hourcade. D’origine bordelaise, Tobeen s’est installé dans la capitale en 1907. Alors que la vie artistique et littéraire bat son plein dans le quartier de Montparnasse, il trouve son premier atelier non loin de là, au sein de la Ruche. Le cubisme fait ses premiers pas au même moment. Côtoyant des artistes proches de Picasso, mais fréquentant également ceux du groupe de Puteaux, Tobeen participe à leur accrochage manifeste à la galerie La Boétie, le Salon de la Section d’or, en 1912. Cette même année, il se fait remarquer par un sujet basque, Les Pelotaris, présenté au Salon des indépendants et acquis par le critique d’art Théodore Duret.
Bien qu’habitant Paris, Tobeen se rend fréquemment dans sa région de cœur, appliquant aux sujets qui l’inspirent le principe d’une simplification formelle allant de pair avec des aplats de couleurs contrastées. Occupant la moitié de cette composition au cadrage étudié, la voile du bateau rentrant au port en est un bel exemple. Prolongeant la diagonale de la coque en une éclatante virgule ascendante, son mouvement contraste avec la succession d’horizontales créées par les navires à quai et les maisons sagement alignées. Parmi elles, on reconnaît le clocher de l’église Saint-Jean-Baptiste de Saint-Jean-de-Luz, et les toitures pointues couvertes d’ardoise des tours de la Maison Louis XIV, où le roi résida à l’occasion de son mariage avec l'infante Marie-Thérèse, en 1660. Depuis les tours de la demeure de l’armateur Joannis de Lohobiague, on guettait les mouvements des bateaux chassant la baleine, pêchant la morue ou le thon, ou partant en « course ». Si les temps ont changé, le pittoresque demeure. En synthétisant ses paysages, Tobeen en a fait des emblèmes du Pays basque. Celui-ci a pu être peint entre 1912 et 1914, et acquis par Pierre Corrard avant sa mort sur le front, aux premières heures de la guerre. L’artiste a également pu l’offrir à sa veuve dans les années 1920, en mémoire de son ami.